Brice Couturier, journaliste à France-Culture

Chroniqueur éclairé aux « Matins » de France Culture, Brice Couturier s’élève contre les biais des médias français à l’égard d’Israël.

A.J.: Comment jugez-vous le traitement du conflit-israélo-palestinien par les médias français ?

Brice Couturier : Partial depuis longtemps et c’est ce qui m’inquiète. Chaque année qui passe, le point de vue sur Israël est un peu moins neutre et un peu plus engagé. La tonalité générale est de plus en plus ouvertement anti-israélienne, pas seulement en France mais dans la quasi-totalité de l’Europe occidentale. Pour prendre un exemple, il est impossible de mettre en parallèle les attentats terroristes islamistes qui ont frappé la France avec ceux que connaît Israël, quand bien même ils sont commis avec les mêmes méthodes. A Noël, plusieurs attentats ont eu lieu et n’ont pas été reconnus comme terroristes par la France, qui a préféré parler de « déséquilibrés ». Mais enfin, des « déséquilibrés » qui foncent dans la foule en voiture, en criant Allah Akhbar, ça rappelle quelque chose, non ? C’est une technique qui avait été utilisée quelques semaines plus tôt en Israël, notamment sur des quais de tramway ! Que nous soyons victimes du même terrorisme, là-bas et ici, c’est une réalité qui n’a pas droit de cité…

 

Actualité Juive : Percevez-vous des différences notables dans le traitement du conflit israélo-palestinien entre les  médias français et leurs homologues anglo-saxons ?

  1. C. :De moins en moins. En France, il y a une espèce d’auto-aveuglement général. En Grande-Bretagne, cela ne vaut guère mieux. Aux Etats-Unis, le spectre idéologique est beaucoup plus large et certains médias sont plus favorables à Israël. En France, je n’en vois guère à part les médias juifs. L’ensemble des médias est brutalement ou discrètement hostile à Israël, presque sans exception. Tout cela interroge. Il faut se demander pourquoi, sous quelle influence, et dans quel but. Une explication banale, mais qui me convient bien, c’est celle-ci : pour l’extrême gauche, la figure du prolétaire, à laquelle elle ne croit plus, a été remplacée  par celle du Palestinien. Celui-ci est devenu l’incarnation de toutes les souffrances, de toutes les humiliations. De même qu’on essaie de faire tenir à Israël le rôle autrefois tenu par l’Afrique du Sud : le « nouveau pays de l’apartheid »… C’est également scandaleux. Cela démontre une méconnaissance de la réalité israélienne où les Arabes israéliens sont, sous certains aspects, mieux traités que les Juifs. Notamment par le fait qu’ils peuvent aller à l’université sans avoir fait l’armée, ce qui n’est pas le cas des Juifs. Et il ne me semble pas que les Noirs sud-africains aient pu accéder à l’université dans leur pays…

 

A.J.: Comment expliquez-vous cet intérêt des médias pour le conflit israélo-palestinien, et peut-être plus largement pour Israël ?

  1. C. :D’intérêt pour Israël, je pense qu’il n’y en a aucun. Le vrai problème, c’est la méconnaissance d’Israël. Les médias sont systématiquement défavorables envers l’Etat hébreu. Quand ils vont sur place, c’est toujours pour montrer le mur de séparation, construit après des attentats qui ont tué des dizaines et des dizaines d’Israéliens, alors qu’on ne parle jamais du mur qui sépare l’Egypte de Gaza. Il y a également chez les médias français la volonté de complaire à nos concitoyens de confession musulmane ; de prendre fait et cause pour le Hamas – terroriste – parce qu’on a vu des jeunes de banlieue manifester pour cette organisation. Or je ne comprends pas que mes copains algériens s’identifient à la cause palestinienne avec laquelle ils n’ont rien à voir. Cela joue un rôle prépondérant car les médias constatent que ce public est nombreux et remuant, alors que le public juif est faible numériquement et a moins d’influence sur le plan médiatique, contrairement à ce que l’on dit. A part Alain Finkielkraut, et dans une moindre mesure Bernard-Henri Lévy, je n’en vois plus guère, des « intellectuels juifs ».

Il y a une autre chose qui m’énerve, c’est de voir certains se croire obligés de dire « Je suis juif, mais je ne soutiens pas le gouvernement israélien ». On ne demande pas aux Algériens de dire « Je suis d’origine algérienne, mais je ne soutiens pas Bouteflika » ! Pour être audible sur le conflit israélo-palestinien, aujourd’hui, en France, quand on est juif, il faut commencer par afficher sa désapprobation d’Israël. En tout cas, de son gouvernement. Pour être écouté des médias, il faut afficher « La paix maintenant ».

A.J.: Dans une chronique prononcée sur France Culture quelques jours après les assassinats de Mohammed Merah en mars 2012, vous faisiez déjà le lien entre traitement de l’information et passage à l’acte en France…

  1. C. : J’ai voulu aborder dans cette chronique l’idée du « pas d’amalgame ». Je relève que cette injonction, assez fondée, s’élève quand des hommes tuent des Juifs à Toulouse, à Bruxelles ou à Vincennes en criant « Allah Akhbar ». Je suis d’accord avec cela : les musulmans de mon pays ne sauraient être tenus pour co-responsables ; contrairement aux commanditaires de ces meurtres qui se cachent, dans quelque pays lointain… Mais on oublie toujours de renverser l’argument contre les djihadistes eux-mêmes. Ils tuent des Juifs français pour, prétendent-ils, « venger les enfants palestiniens ». Pas d’amalgame ? Quel rapport entre un Juif qui fait ses courses pour shabbat dans une épicerie un vendredi après-midi et un soldat de Tsahal ? Cette asymétrie m’exaspère. Il y a toujours un méchant et un gentil dans l’affaire. Et le méchant c’est toujours le Juif.

Actualité Juive – Juillet 2015